FETE FORAINE
A partir des années 30, des photographes ont enregistré les instantanés d’une fête foraine, un sujet d’inspiration pour qui voulait saisir la vie en mouvement et les baraques d’attractions. Kertész, Kollar, Feher, ont « fixé » des fractions de secondes durant lesquelles les chevaux de bois et l’homme-canon menaçaient nos aïeux. Tous trois originaires d’Europe centrale connaissaient les dangers de l’exil, le prix à payer d’une immigration, le danger comme le connaissaient les forains. Marcel Bovis a réglé sa focale partout où le mouvement s’accélérait : « On plongeait dans un océan de bruits et de lumières violentes, on respirait toutes les odeurs mélangées, celles des frites, des berlingots, de la pâte de guimauve, des gaufres, des croustillons hollandais, de la poudre de tirs et des éclairs de magnésium, mélangées aux relents douteux issus des ménageries.»
Fin d’une époque de la fête foraine, les « anormaux ne seront plus exposés en public et la joie de vivre sera rapide comme une fusée peinte en trompe-l’œil.
Le twist emportera toujours plus vite les jeunes gens, plus vite que la chenille, plus vite que les autos-tamponneuses, sous les flocons de barbe à papa dont les filaments couverts de sucre glace viennent peut-être du fond de la galaxie. Force centripète, force centrifuge, garçons et filles montaient et descendaient, collés ou propulsés, poudre de gaufre sur les joues. La fête foraine et les débuts du rock’n’roll, ce fut une occasion de faire la noce en sucre d’orge avec des airs de voyous la nuit à Pigalle comme dans les romans d’Albert Simonin.
Dans les années 70, le photographe américain Randal Levenson s’est pris d’amour pour les irréguliers de naissance, pour les « freaks » et les a suivis plusieurs années, en pause, entre deux activités, devant les gigantesques panneaux, à l’écart des populations. Obèse, amoindri, velu, sans bras ou gueule hypertrophiée, interdit d’exercer un métier « public » à New York, le Monstre qui voyage garde sa solitude pour lui à l’instant d’un cliché de photographe.
Pour le grand public qui lui est encore fidèle, la fête foraine est un baume au cœur, une suite de pétarades, des voix qui s’égosillent dans un microphone, des musiques jouées devant le métronome, des claquements de ballons sous les tirs ajustés à la cabine, des bas-reliefs grotesques en polychromie sur les roulottes, des grimaces peintes à l’aérographe sur les camions rutilants, sourires inquiétants qui appellent à acheter son ticket pour la Grande Roue, en souvenir peut-être de celle située sur le Prater à Vienne du temps où les espions étaient partout dans la ville occupée par les forces de l’OTAN.