Dans le domaine nommé autrefois « le Merveilleux scientifique » dans lequel excella l’écrivain français Maurice Renard, je retiens quelques lignes du récit Un homme chez les microbes.
« En croyant qu’à mon retour je pourrais raconter aux hommes de la Terre tout ce que devais voir sur la planète Ourrh et notamment au Muséum, Agathos ne soupçonnait pas qu’il lui faudrait employer plus de soixante ans à découvrir la formule de mon « regrandissement » (…) Nous descendîmes au fond de caves contenant les témoins de tout ce qui avait été détruit comme étant nuisible.(…) Des récipients enfermaient de louches bouillons de culture. Les plus terribles maladies, les épidémies les plus meurtrières, qui avaient jadis décimé la mandarinité, se trouvaient là (…) Agathos me dit, à ce sujet que la stérilisation à outrance avait failli faire périr tous les Mandarins, à cause des bons microbes qui sont nécessaires au maintient de la vie – qui sont peut-être la vie elle-même ». Le récit date de 1928.
Depuis longtemps, les musées « donnent à voir », comme aurait dit le poète Paul Eluard. Ils donnent aussi à toucher, à entendre, à sentir et même à goûter s’il s’agit d’art culinaire. Aujourd’hui, une mise en quarantaine des Terriens isole chacun de nous des œuvres et objets du passé lointain et moins lointain. D’habitude, une cyber-attaque garde son caractère éphémère et brutale. Elle est mortelle pour les computers mais pas pour l’informaticien. Elle est une attaque contre des informations stockées mais d’autres informations seront validées la semaine prochaine, sauvées ou non d’un cloud invisible mais réel. Devenu invisible à la faveur d’une épidémie mondiale, le Musée est lui aussi attaqué sur cet imaginaire hier analysé par André Malraux comme une confrontation d’œuvres parfois réunies grâce à l’inclination des collectionneurs, au hasard des donations, à la politique d’un ministère.
Pour ce qui est de l’exposition Du Scorpion à Futuropolis qui est une historiographie de la notion de Bizarre après la seconde guerre mondiale, nous butons sur le vocable « guerre ». Ce qui fut invisible car voué à la destruction et non à la conservation dans les musées est entré après quelques décennies au Musée. Les images anciennes de Mickey Mouse et celles des paravents pour séances érotiques voisinent avec les statuettes et les lampes à huile égyptiennes. Les films dans lesquels le Justicier masqué ne masquait que le haut de son visage sans souci de protection de son nez ou de sa bouche voisinent avec la bande-annonce d’un météorite qui va bientôt frôler la Terre. Les mains d’officiers nazis écartant l’art dégénéré de l’art des paysagistes chéris du III Reich feront tomber demain comme hier les flocons de neige dans une boule en verroterie. Question de voir et question de visions accélérées, c’est ce qu’une telle exposition donne à voir. Hier temporaire, du Scorpion à Futuropolis au Musée museum de Gap devient par une torsion de l’espace-temps une exposition permanente, de la même façon que nous entrions il y a soixante-dix ans dans le cinéma permanent à n’importe qu’elle heure à l’instant d’un râle, d’un cri ou d’un fou rire, au moment même où les ailes du vampire giflaient le visage de la jeune fille en fuite.
Dans le souvenir du vol du tableau de la Joconde au Louvre par un compagnon d’infortune de Guillaume Apollinaire, toute aventure convoquant Arsène Lupin ou Rouletabille est encore possible. Je vous donne rendez-vous à Montmartre d’ici la fin de la circulation de ce virus à l’attaque des Terriens, une fête entre nostalgiques, entre Anciens et Modernes du cabaret le Chat Noir. En avance sur ce rendez-vous je vous envoie ce texte en vers de mirliton depuis la Butte :
épi
dé
mie
de
pain
aiguilles
de
pin
hé !
Pie
demain
clé des champs …