FANTASTIQUE
Sur la couverture de la revue mensuelle Fiction (éd. Opta) datée de mai 1965, les catégories « Science-fiction, fantastique, insolite » sont accolées, comme elles l’étaient dans les années 50. Le glissement d’un vocable à l’autre a fait couler l’encre des porte-plumes de la main des professeurs, tandis que les écrivains et les cinéastes tentaient de convaincre les publics. Pour l’essentiel de cette époque, retenons les anthologies de Roger Caillois, les anthologies Planète dirigées par Jacques Sternberg, les ouvrages de Marcel Brion, Claude Roy, Michel Laclos, Jean Boullet. Nous devons beaucoup à des éditeurs de Belgique : Casterman à Tournai, Marabout à Verviers, ont participé à la reconnaissance d’une littérature considérée alors comme mineure. Aux Cahiers de l’Herne, à partir de 1969, la glose s’est concentrée en études savantes sur Lovecraft, Gustav Meyrink, Edgar Poe, Jules Verne ou Jean Ray. L’université a ouvert les portes qui grincent et les armoires aux toiles d’araignées aux futurs diplômés. Sur la géographie qui est celle choisie par l’écrivain, on lira au hasard d’une page de Claude Seignolle de quoi bouleverser la tête des diplômés : « Ses grands doigts de glace profondément enfoncés dans la terre, le froid se cramponne sur la Sologne et s’attarde à pondre son frimas sur l’échine du pauvre monde. Visible en buées au contact des bouches, il ballotte son grand corps fluide au gré des vents mordants. Sa souveraineté sur les mois d’hiver a des exigences cruelles. Il se roule, se prélasse sur tout. Dans les bois, ses jeux font naître les douleurs sourdes des grands arbres aux branches déjà blessées par la foudre des jours d’été et brisées par les colères des vents automne. »
Le Fantastique est l’approche des formes du désordre, de nos perturbations psychiques, une balade en compagnie bonne ou mauvaise de fantômes complices, de croissances végétales ou animales décuplées, d’automates qui défient l’intelligence, une attirance pour cette rupture dans l’ordre supposé irréfutable. Le théâtre de l’Étrange (adaptations radiophoniques de 1965 à 1974), L’Écran fantastique ou Mad Movies, magazines pour les inconditionnels, le Festival du cinéma fantastique d’Avoriaz créé en 1973, ont suscité des vocations. Les écrans de cinéma ont reçu d’inombrables séquences de peurs modernes ou ancestrales : Rosemary’s Baby de Roman Polanski, Suspiria de Dario Argento, Malpertuis de Harry Kümel, L’Exorciste de William Friedkin.
Derrière un film, il y a un roman et des adaptateurs. Le fantôme de l’Opéra ou Les mains d’Orlac furent des romans adaptés à l’écran. Les interférences et admirations croisées ont consacré l’appartenance au genre, Maurice Renard vers Jean Ray et réciproquement. Néanmoins, cette littérature a souvent connu plus de difficulté à trouver ses lecteurs pour peu que les effets spectaculaires soient infimes et la poésie dans le brouillard grande. Il aura fallu la ténacité des fanatiques du « fandom » pour faire émerger à nouveau Hans Heinz Ewers, Jean-Louis Bouquet, William Hope Hodgson, Arthur Machen, Thomas Owen, Marcel Béalu, André Hardellet, Fitz-James O’Brien, Kurt Steiner ou Claude Seignolle.
Chez les illustrateurs, Willi Glasauer, Karel Thole, Philippe Druillet, Moebius, Gourmelin, Bernie Wrighston, J.-M. Bontoux, J.-C. Forrest, Siudmak, Roland Cat, Lamy, Christian Broutin, Isabelle Drouin, Pierre Clayette, Nicole Claveloux ont également ouvert des fenêtres sur l’inconnu grâce à leurs crayons chargés d’une imagination sans limites, explorant le spectre de nos inquiétudes.