western

WESTERN

 

Go West ! Toute la mythologie américaine est nourrie de cette injonction. Aux espaces réduits, gothiques et moisis dans la pénombre des cités, les antiques européens ont piétiné sans vergogne les prairies et les vastes étendues devenues les États-Unis d’Amérique ensanglantés du sang des Peaux-Rouges. Dans une déclaration sans retenue, le chef Sioux Luther Standing Bear a précisé à « l’homme barbu venu de l’Est » : « Les vastes plaines ouvertes, les belles collines et les eaux qui serpentent en méandres compliqués n’étaient pas sauvages à nos yeux. Seul l’homme blanc trouvait la nature sauvage et pour lui seul la terre était infestée d’animaux sauvages et de peuplades sauvages. À nous la terre paraissait douce, et nous vivions comblés des bienfaits du Grand Mystère. » On connaît la suite et surtout la fin, l’incendie activé par le vent, les crinolines des jeunes filles sudistes tachées et les destructions criminelles comptabilisées en réserves indiennes ou lynchages expéditifs.

Dès les origines, Fenimore Cooper avait romancé les étapes d’une vie dangereuse mémorisée dans les têtes d’enfants européens imaginant la vie des trappeurs ou des tribus indiennes. Le cinéma, la bande dessinée et la peinture ont enchaîné sur le « montage » d’une mythologie sans cesse modifiée au fur et à mesure que la mauvaise conscience augmentait.

De nos jours, chaque enfant devenu un vieux visage pâle se souvient peut-être encore des ciné-romans en noir et blanc, adaptations diffusées en kiosque, des combats sans merci sur l’écran entre soldats de Washington et Indiens sur le sentier de la guerre, des grimaces extériorisées ou intériorisées concentrées sur la mâchoire de Kirk Douglas ou de James Stewart, visages anxieux imprimés en affiches polychromes avant la projection de la Révolte à L’Ouest (avec George Montgomery), Les voleurs de train (avec John Wayne et Ann Margret), Arizona Colt (avec Giuliano Gemma). Les musiques de films jouent encore dans les têtes des spectateurs aux cheveux blancs, celles de Elmer Bernstein, Dimitri Tiomkin ou de Ennio Moricone. Les affiches sont au format à l’italienne ou d’origine flamande, peut importe : les barillets des colts des justiciers fonctionnent toujours.

 

Avant le film préexiste un roman. Un extrait de Lune pâle de W.R. Burnett, traduit et publié aux éditions Actes Sud, injecte en nous ce frisson que le cinéphile ressentait dans les années 50 et 60 :

 

« Il était tard l’après-midi. Ils chevauchaient côte à côte, en descendant le chemin du col sur le versant occidental des Big Sheep. De hautes collines dénudées, aux sommets arrondis, les dominaient de toute part et, à présent, le chemin se réduisait à une piste dont le lacet serpentait capricieusement vers les premières collines et, plus loin, vers la Grande Plaine.

  • Nous serons arrivés avant la nuit, je crois, dit Crip. Comment vous sentez-vous ?
  • Je vais bien, dit Doan, mais il n’avait pas l’air bien du tout, et Crip l’observait fréquemment avec inquiétude. Une syncope et une chute de cheval risquaient d’être désastreuses. La piste passait par des rochers escarpés, et elle longeait parfois, entre les canyons, des gouffres étroits qu’elle surplombait d’un à-pic de trente mètres ou davantage.

Crip était en nage. N’arriveraient-ils donc jamais au corral de mulets, au pied du Nid d’aigle ? Il se faisait l’effet d’un homme à la poursuite de l’horizon. Le temps passait, et le silence de ces lieux abandonnés bourdonnait dans ses oreilles. Enfin Crip se dit : “Pourquoi me mettre en sueur ? Pourquoi me tracasser ? Ce type, je ne le connais pas.”

Il jeta un coup d’œil vers Doan. Son grand compagnon serrait ses lèvres minces, il tendait les mâchoires, son visage brillait de sueur. Il était plus gris que jamais. Mais il tenait le coup, sans une plainte, sans un mot.

Cet homme-là avait du cran. »

 

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