HUMOUR NOIR
La guerre est ennemie de l’humour, l’humour encourage plutôt à la désertion et les déserteurs risquent le poteau d’exécution. À Nice, André Gide se voit interdire une conférence sur Henri Michaux par la Légion Française des Combattants en mai 1941. Par un courrier vengeur et insidieux dans l’injure, cette Légion-là fait savoir à l’écrivain ce qui suit :
Monsieur, l’annonce de votre conférence nous a beaucoup surpris. La qualité de votre talent nous autorisait à croire que vous ne manqueriez pas de tact à ce point. Nous savions l’auteur de L’Immoraliste et des Nourritures Terrestres assez opportuniste et assez philosophe pour venir se reposer en toute quiétude des fatigues de la guerre dans un quelconque hôtel de la Côte d’Azur. Et croyez bien que nous n aurions pas perdu notre temps à troubler la retraite du Maître. Mais il est un peu choquant de voir André Gide affronter le public français en ce mois de Mai 1941, en dépit d une actualité qui condamne son œuvre (…).
Un an plus tôt, l’Anthologie de l’humour noir conçue par André Breton dès 1935, remaniée, est interdite de diffusion par la censure de Vichy, ne sera autorisée qu’en 1945. Ce qui borne l’humour noir, pas seulement le noir d’ailleurs, est avant tout l’imbécillité réactionnaire et la facilité à provoquer du comique tel une machine ainsi que le rappelle André Breton dans sa préface. Néanmoins, depuis l’après-guerre, on ne compte plus les vocations nées de la lecture de cette fameuse anthologie, au sommaire de laquelle les compagnons de nos insomnies nous ont éclairés sur les possibilités de rire et de sourire pour soi et en société. Dans le sillage laissé par les Surréalistes ou leurs invités, Alain Gheerbrant et Henri Parisot avaient édité une revue en 1949, De l’humour à la terreur (K. Revue de la poésie), en hommage à Kurt Schwitters. Entre interpellations à voix haute et murmures désespérés, le rire élargissait sa palette chromatique. La terreur qui est la suspension provisoire de l’humour ne se vit pleinement que par son éviction en fous rires. Les burlesques filmés par Mack Sennet ont consolé et peut-être guéri plusieurs générations de spectateurs. La destruction systématique dans les films de Laurel et Hardy annonçait une Amérique qui casse les individus comme des blocs de ciment. Plus tard sont venus les tueurs à répétition, comme la Winchester du même nom, jusqu’à l’expression du style Grand Guignol dans un film comme 2000 Maniacs.
Tristan Maya fut à l’origine de la création du Prix de l’Humour Noir en 1954, récompensant les lauréats dans les domaines de la littérature, du dessin, du spectacle et du disque. De Raymond Queneau à Ange Bastiani, de Siné à Ronald Searle ou de Roman Polanski à Jean Yanne, les lauriers et les chrysanthèmes ont couronné les têtes. En 1961, les prix furent décernés à Luis Buñel, Jacques Sternberg et Roland Topor. Le film de Luis Buñel, Viridiana, avait remporté la palme d’or au Festival du Film de Cannes, palme aussitôt contestée avec virulence par le Vatican en raison du propos « sacrilège et blasphématoire » et avec autant de virulence par l’État espagnol qui retira la nationalité espagnole au film qui ne devait être projeté sur les écrans qu’en 1977, après la mort du dictateur Franco. C’est donc sous la bannière mexicaine que Viridiana fut distribué dans les autres pays européens !
A la relecture de la seconde préface d’André Breton à son anthologie, datée de mai 1966, on évaluera la constance des maréchaux à observer le maintien de la flamme du soldat inconnu ainsi que le sans-gêne des animateurs de télévision à passer du petit écran à votre fauteuil en cuir afin d’entendre votre confession intime sur un fils mort à la guerre, sans savoir exactement de quelle guerre il s’agissait.