kiosque

KIOSQUE

 

 

En parallèle du « crieur » de nouvelles sensationnelles qui courait dans les rues au-devant des lecteurs de quotidiens, le kiosque accueillait les clients dans une sorte de recueillement. C’est à peine si l’on apercevait le gérant ou la gérante, dans une pénombre définitive moins intimidante cependant que celle d’un confessionnal. Le bruit et la fureur, ce fut toujours pour nous à l’extérieur que ça éclatait, sur les parois et les suspensions de ce mythologique bâti aux formes variables suivant les époques, polygonales ou cubiques. Empressés de découvrir le monde devant ce dôme pour les profanes, nous observions disparaître le marchand loin en arrière de sa main tendue pour la monnaie à rendre au client. Indifférent aux milliers de titres « à la une » des quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, ces anonymes aux mains pleine d’encres comme s’ils devaient laisser leurs empreintes digitales pour un renouvellement de passeport voyageaient derrière le papier imprimé. La presse à destination de la femme au foyer du type L’Écho de la mode tirait à plus d’un million d’exemplaires en 1962. Les lectrices de Nous Deux exprimaient leur situation sociale réécrite dans le courrier du cœur débordant d’amours contrariés. Les photo-romans proposaient en millions de stéréotypes des remèdes à la mélancolie en attendant le prince charmant. Dans les années 20, sur les faces des kiosques, l’affichage payant en lettres lumineuses favorisait des gloires de l’industrie : Byrrh, Singer, Meunier. Après 1948, le réseau de diffusion NMPP affirma sa pratique monopolistique et s’exposa aux grèves déclenchées par le syndicat CGT.

Paris-Match daté du 30 mars 1963 proposa un « numéro exceptionnel : 32 pages couleurs ». Au hasard de ces pages en couleurs consacrées à la mode vestimentaire on pouvait lire : « Les Américaines préfèrent la fraîcheur, les Italiennes le confort, les Péruviennes l’éclat ». Les acheteurs payaient le prix fort d’un modèle et l’option de le reproduire, 2000 F l’original et 500 F pour la réplique.

Pour des millions d’Américains, ce fut les newspapers jetés devant leur porte, à côté de la bouteille de lait en guise d’antipoison, car les manchettes des quotidiens en contenaient un fort pourcentage.

 

Revenons en France : Actuel, après avoir gratifié les lecteurs désintoxiqués d’une suite désopilante de parodies de magazines puritains, marque une pause. Charlie, « plein d’humour et de bandes dessinées », poursuit avec la même désinvolture et insolence, un itinéraire mensuel commencé en 1969, l’année de la mort du général de Gaulle. L’écho des Savanes, Métal Hurlant, Circus, Fluide glacial occupent la scène du renouveau de la presse grâce aux dessinateurs de comics et à la sensibilité aux musiques que Rock n’ folk analyse depuis plusieurs années pour les jeunes qui ne veulent pas mourir d’ennui. Tintin perd ses cheveux, Spirou a les syndicalistes contre lui, Natacha déboutonne son corsage, Lili a changé de bicyclette et Rahan a une entorse de l’épaule. Il y a longtemps que le magazine américain Mad a influencé les caricaturistes européens qui voulaient en découdre avec Mickey Mouse. Jacques Fauvet, directeur du journal Le Monde entre 1969 et 1982, croyait en la pluralité des opinions à travers la presse contre la propagande télévisuelle. Mais pour les plus psychédéliques d’entre nous, disons que le kiosque a magnifié une mosaïque sans cesse renouvelée, ce que Marshall Mc Luhan a défini à propos de la page du journal comme une mosaïque significative du temps présent, de la discontinuité. Ce gigantesque collage, involontairement dadaïste, fait de centaines de titres de magazines et d’informations juxtaposées dans un espace réduit au caractère orientaliste kitsch, fut indéniablement un vaccin contre l’angoisse de vivre.

 

 

 

 

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