bibliophilie

BIBLIOPHILIE

 

 

Les livres de poche publiés dans la collection 10/18 (éd. Bourgois) ont jauni plus encore que les livres d’avant-guerre, les feuilles se sont envolées avec les fragments de colle au vent mauvais de l’hiver. Une longue pratique des bouquinistes a porté ses fruits non comestibles mais contenant parfois du végétal dans le papier imprimé. À l’inverse, dans ma jeunesse, le grand bibliophile Jacques Matarasso me faisait découvrir le livre illustré moderne impeccablement conservé à sa galerie à Nice : Octave Mirbeau illustré par Gus Bofa, Joseph Hémard par lui-même, Apollinaire par Dufy, les éditions Floury, les éditions Au sans pareil… De temps en temps, je lui portais un ouvrage ayant échappé à sa vigilance. Peut-être ce jour-là, l’un de ceux édités par Le Terrain Vague et dont le dessin de Max Walter Svanberg servait de motif pour chaque ouvrage signé Jacques Sternberg, André Pieyre de Mandiargues, Marcel Béalu ou Lise Deharme.

Le livre n’est jamais seul, il repose sur des étagères de meubles qu’on ne fabrique plus, en bois vernis d’autrefois, protégé ou non par des vitrines dont le verre a été soufflé de façon imparfaite, offrant au visiteur des fragments de loupe ou des aberrations optiques. La cire qui perdure accompagne le nez du visiteur dont les yeux se tournent également d’une reliure des éditions Hetzel vers un astrolabe, une longue-vue, un encrier, une machine à écrire, un objet publicitaire ventant un apéritif qu’on ne fabrique plus. Cuivre, reliure rouge et or, feutre du sous-main aux encres des aïeux inconnus, chope de bière usinée en Tchécoslovaquie, pays satellite créé en 1948, objets « attachés » à notre âme avant que la micro-informatique ne dissolve tout ça vers une partie du cosmos.

On se souvient encore des ouvrages vendu au Magasin pittoresque, rue Delille, non loin du lycée Masséna où sont passés tant de gloires de la littérature française : Joseph Kessel, Michel Déon, Romain Gary, Michel Grisolia, Louis Nucéra, Didier Van Cauwelaert ou Daniel Pennac (pas de femmes sur cette liste même si on l’allonge ?). De nos jours, un de leurs romans est proposé sur le tourniquet extérieur, romans défraîchis exposés au soleil afin de profiter de la vitamine D dont le papier vieillissant à besoin, tout autant que le lecteur vieillissant. C’est dans cette bouquierie où il est devenu très difficile d’accéder tout au fond, envahie par des monticules de livres, qu’aimait venir Francis Lacassin, cet éclaireur ami qui nous guida dès les années 60 au fil des pages écrites ou dessinées par Mc Orlan, Lee Falk, Gustave Le Rouge, Léo Malet ou Burne Hogarth, pour ne citer que quelques-uns qui nous ont encouragés à la pratique de l’école buissonnière.

 

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