bistrot

BISTROT

 

Des écrivains publiés par la maison Denoël avaient l’habitude d’écluser à l’épicerie-buvette de la rue Amélie, non loin des entrepôts et des bureaux : René Fallet, Georges Brassens, Jacques Yonnet, Albert Vidalie, Jean-Paul Clébert, ceux qui avaient « toujours l’impérieuse nécessité d’arroser quelque chose » d’après Robert Giraud, le mémorialiste des bars d’autrefois. Et sur son homologue expert du zinc, Jacques Yonnet, épris de mystères séculaires de Paris, de la mythologie qui transporte plus loin que le pavé médiéval, Robert Giraud écrit qu’il « portait aux petits bistrots, humbles bibines, tabacs du coin, bouchons populaires, antres de bougnats de Mouffetard, Maubert et des Îles, une affection toute particulière. Croisées des chemins et points de retrouvailles essaimés dans Paris, ils étaient pour lui des lieux clos où une présence inhabituelle suffisait à bousculer la banalité journalière. »

Toi l’Auvergnat qui sans façons… Brassens avait raison de chanter la puissante humanité de celui qui a quitté son pays pour servir le bien commun, pas seulement le calva ou le bois de chauffage. Avant que la destruction des quartiers de Paris et des autres villes de France ne se décide sous le tire-ligne des urbanistes, tandis que les bétonnières tournaient à plein rendement, les citoyens auront trinqué à la République ou aux chagrins. Le nombre de débits de boisson diminue : on passe de 314 515 établissements en 1946 à 228 759 en 1973. La courbe est descendante mais la colonne vertébrale des bougnats est ascendante. De père en fils, la relève est assumée. Ils sont aussi la gloire des Trente glorieuses. Jacques Yonnet a consacré l’une de ses chroniques au Café du Commerce, dirigé dans les années 60 par Ernest Gombert. Ce « patron » avait conscience de la valeur historique de la place Maubert, de ses habitués, de ses clochards, de ses clercs ou de ses maraîchers depuis plusieurs siècles. Les étudiants affluaient, augmentaient d’année en année. Il leur fallait un bar réaménagé, un café à la française. Jacques Yonnet précise : « Autochtones et visiteurs passagers, « biffins » et directeurs de banque, « chiftirs » et princes hindous, bohèmes seulement soucieux d’une permanente absence de soucis, et très authentiques magnats d’industries (…) dans le brouhaha discret et sympathique des godets que l’on renouvelle et de la vaisselle que l’on remue, sous l’œil vif, souriant, paternel parfois du maître du lieu ».

 

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