le rebelle n’est pas à vendre

Révolte consommée, édition L’Echappée

Voici un essai déjà paru chez un autre éditeur en 2005 (Naïve) et de nouveau aux éditions L’Échappée dont j’ai déjà parlé dans Papiers Nickelés à propos des bistrots de naguère magnifiés par l’excentrique Jacques Yonnet ou à l’occasion de l’éditeur Jean-Jacques Pauvert à travers la biographie de Chantal Aubry. Cette fois, il s’agit d’un essai signé par deux universitaires venus du grand froid canadien. Il s’agissait pour eux deux d’en « finir avec le mythe de la contre-culture ». Jean-François Bizot, Alain Dister ou Moëbius peuvent dormir au plus profond de leur cercueil, le vent de la contestation et de la jubilation sans retenue a passé, le vent lui-même est côté en bourse, bridé sous les éoliennes en plein océan. A la lecture de ce Rebel Sell (titre original) l’imagerie désuète de Rebel without a cause servira à peine aux jeunes gens amoureux désireux de coller des vignettes sur le classeur de géographie. Sans rire, cet essai irritera les derniers marxistes et enchantera les nombreux réformateurs à la mode. Les baby-boomers n’ont-ils déjà pas compris que toutes les portions de la rébellion étaient à vendre, toutes en parts de marché, en objets de collection pour finir en brocante quelques mois plus tard. Le fils du Routard porte des vêtements écolo-responsables et vérifie le contenu du shampoing acheté au rayon bio. Enhardi par les ultimes cours de la Bourse à Tokyo, sous les balles de fusils de terroristes convertis hier soir, il avance derrière les dunes à la recherche d’un puit de pétrole à acheter. Tintin arrivera-t-il à la rescousse ?

Chaque mois, les salles de ventes aux enchères regorgent encore de ces images qui ont été crées et produites afin de maintenir l’éveil contestataire, la puissance de la caricature ou l’évasion par la déambulation onirique. A côté de centaines de feuilles originales ou imprimées, le béret de Groucho Marx ou celui de Che Guevarra décorent des tasses à café tenues par les happy-few attendant que le breuvage aromatique du Brésil ou du Vénézuela refroidisse. Adjugé !

Tel est la leçon qu’il convient de méditer devant sa propre bibliothèque ou discothèque ou cinémathèque : la contre-culture n’aurait été qu’une série de signes à destination d’une petite bourgeoisie conformiste inapte à transformer les sociétés, la société. Inutile de réviser avec ses enfants les thèses de Reich, Marcuse, Baudrillard, Vance Packard et autres compagnons de route qui ne confondaient pas le Nord avec le Sud : toute action anti-consumériste se soldera demain matin par une action contestataire également consumériste, inefficace pour le bien commun dans son intention subversive, désolante par son absence de programme sur la durée.

D’une génération à l’autre, nous sommes passés de la fascination pour l’automobile de marque à la fascination pour la chaussure de marque, nous enseignent ces deux professeurs, même si certaines d’entre elles sont depuis des années fabriquées par des mains d’enfants sous-payés. Selon eux, Antonio Gramsci s’est trompé d’objectif en désignant le futur foyer révolutionnaire de préférence dans la sphère culturelle et non dans la sphère de l’économie, puisque pour Joseph Heath et Andrew Potter, dans une société où les pulsions individuelles sont les agents de destruction de la civilisation tandis que la déviance se confond avec la dissidence, nous ne sommes pas en récession mais dans une période de « baisse du volume de la demande et de l’offre ». En conclusion, la rébellion ne serait rien d’autre que le moteur du système économique (p. 178 et suivantes). Croyons plutôt qu’il s’agit d’un moteur auxiliaire et offrons aux deux professeurs du Canada les images d’une modeste sélection de recueils choisis dans ma bibliothèque, honneur aux dessinateurs qui ont encouragé les Nickelés en chair et en os à penser, rêver ou sourire grâce à la contre-culture à défaut d’en finir avec la prolifération d’armes sur la planète. La rébellion est à vendre mais les rebelles ne le sont pas encore. Bonjour à Crumb, Tim, Rita Mercedes, Solé, Topor, Masereel, Siné, Delannoy …

Denis Chollet

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